30.09 LACAN QUOTIDIENE N° 44 19h45
Messieurs les évêques, nos autels sont tachés de sang !
traduit de l’arabe par un ami
Par l’entremise de Philippe Sollers, j’ai rencontré hier soir, à la Résidence jésuite de la rue Blomet, Nibras Chehayed, étudiant jésuite de 31 ans, récemment arrivé de Damas, en partance pour Beyrouth, et qui parlait avec Rafah trois heures avant son arrestation. Nibras me connaissait de nom : il s’intéresse à la philosophie et à la psychanalyse, il m’a remis le texte de son mémoire, Du néant-‐dire presque inutilement. Dialogues thanatologiques avec Heidegger et Lacan. Il m’a remis un texte, qu’il a publié dans le quotidien Assafir de Beyrouth, avec le Nil obstat de sa hiérarchie. Il m’a autorisé par écrit à le publier dans Lacan Quotidien, à le transmettre à La Règle du jeu, et à le communiquer à l’hebdomadaire La Vie. Nous restons en contact. JAM
L’Eglise a toujours défendu le droit de tout homme à la liberté et à la dignité, a incité les laïcs à mener un combat éclairé en faveur de ces nobles buts, et a demandé aux clercs de remplir ce devoir, sans toutefois s’enrôler directement dans des activités politiques de terrain, afin qu’ils puissent être une référence spirituelle pour tous.
Où en sommes-‐nous par rapport à cet appel en Syrie ? Certains de nos prêtres sont baasistes, certains de nos évêques n’hésitent pas à qualifier tous les manifestants de traîtres, certains de nos patriarches ne cessent pas de chanter les louanges du régime. Dans le même temps, aucun de nos prêtres n’ose laver les blessures du passé, aucun de nos évêques n’ose se dresser face aux services de sécurité pour répéter le commandement de celui qui ne meurt point : « Tu ne tueras pas ! ». Et au lieu que le 23 juin dernier soit un jour de jeûne et de prière, comme prévu dans l’appel des évêques de Damas, le rassemblement des fidèles en l’église damascène de la Croix s’est transformé en un festival du discours politique : et nos yeux s’emplirent de larmes.
Sans rien demander aux fidèles, certains de nos évêques parlent en leur nom, disant à la cantonade : « nous sommes tous du même bord et nous répétons tous « oui, oui » ». La liberté n’est rien d’autre que « complot » et « gangs ». Comme s’ils n’existaient pas, ceux qui sortent de chez eux et ne reparaissent plus. Puis montent les voix de ceux qui portent leurs corps démembrés en criant
« paix, paix », et le prédicateur de continuer : « agitateurs, infiltrés ». L’armée rentre dans les villes, les clameurs montent dans les rues, tandis que l’Eglise s’enferme dans le silence : « oui, oui »… Les larmes brillent à nouveau. Et l’avenir du mouvement ne serait qu’« Emirats salafistes », comme si des chrétiens et des laïcs ne sortaient pas chaque vendredi des mosquées, comme si des militants civiques n’étaient pas kidnappés à leurs domiciles, comme si nous n’étions pas voisins, comme s’il n’y
avait aucun passé commun entre nous, comme si nous n’avions pas pris ensemble le pain, le sel et le café. Dans la bouche de certains de nos prédicateurs, les mots sifflent comme des balles, de leurs gorges sortent des expressions d’éloge et d’allégeance, pour faire taire ce qui ne se tait pas : la gorge d’Ibrahim Qachouch1. Du corps du Christ sur nos autels s’écoule le sang de Hamza et de Hajar2, et sur le côté blessé de ce Nazaréen, ce sont les sangs de Hama et de Deir ez-‐Zor qui coulent. Et le prédicateur, à nouveau : « Agitateurs, infiltrés ».
Et l’Eglise officielle, au lieu d’être ferme sur les valeurs humaines, au lieu de laisser à ses fidèles la liberté de choix politique d’après la voix de leur conscience, au lieu de recommander aux responsables l’arrêt de la répression, et aux manifestants le contrôle d’eux-‐mêmes pour que le pays ne sombre pas dans des tragédies supplémentaires, au lieu de replacer le sursaut de la rue syrienne dans son cadre historique, marqué par l’ubiquité de la corruption et le déni de liberté depuis de longues décennies, certains hommes d’Eglise adoptent une position politique tranchée, de soutien au régime en place. On fait donner la musique et on envoie nos jeunes dans les fêtes de la place des Omeyyades, en lieu et place du deuil pour ceux qui sont tombés. Les blessures s’aggravent, tandis que la voix du Christ répète au loin : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César », mais le prédicateur répète encore : « agitateurs, infiltrés ». Comme si rien ne s’était passé, comme s’il n’y avait pas au sein de notre peuple des souvenirs sanglants, comme si tous les manifestants étaient des criminels qu’on achète et qu’on vend, comme si la peur avait déjà crucifié l’espérance…
Excusez, Vos Excellences les Evêques, les afflictions d’un petit religieux tel que moi, qui ne comprend que peu de choses à la vie, et excusez parmi vos ouailles les voix de ceux qui refusent la partialité de nombreux hommes de religion. Les pays arabes verront un jour le printemps, et ce sera pour l’Eglise une floraison…
Ce texte est paru dans le journal Assafir du 5/8/2011
1 : chansonnier de Hama, égorgé par les services de sécurité
2 : Hamza : adolescent torturé et tué ; Hager : petite fille tuée
NOUVEAUX SIGNATAIRES DE L’APPEL « Du raffut pour RAFAH ! »
• André GLUCKSMANN, philosophe, essayiste
• Bracha L. ETTINGER, artist, psychoanalyst, Chair and Professor of Art and Psychoanalysis,EGS.
• Rolande CAUSSE, écrivain
• Jean-‐Pierre COMETTI, professeuréméritedephilosophieàl'UniversitéAix-‐MarseilleI,traducteur
• Michèle André, sénateure socialiste du Puy-‐de-‐Dôme. (par Jean-‐François Cottes)
• Marie Noëlle BATISTEL, députée PS de l'Isère
• Michel ISSINDOU, député de l'Isère. (par Thomas Burkovic )
• Patrick STARCK, expert fiscal international
• Philippe BECK, ancienélèveENS-‐Ulm,maîtredeconférencesdephilosophieàl'UniversitédeNantes,poète
• Bruno FERN, poète
• Dominique GIOCANTI, chargée de cours de droit en faculté de médecine
• Ronald KLAPKA, critique littéraire; créateur du site La lettre de la Magdelaine, poète
• Philippe MENGUE, agrégé et docteur d'état en philosophie, écrivain
• Marko PAJEVIC,UniversitédeBelfast,enseignantenétudesgermaniques,littérature etpoétique
• Danièle ROBERT, traductrice du latin, de l'anglais, de l'italien
• Christian TARTING, professeur à l'université Aix-‐Marseille II, institutdesmétiersdulivre,poète
• François WARIN, agrégé et docteur en philosophie, écrivain. (dix signatures par Françoise Santon, que nous remercions)
COURRIER
GIL CAROZ. Cher JAM, hier à midi, un Vice président du Parlement européen, Rouček Libor, un tchèque, a fait une longue « Déclaration du Président » concernant Rafah. Vous pouvez le voir dans le film auquel renvoie le lien ci-‐dessous. On peut voir aussi Cohn-‐Bendit qui applaudit à la fin de la déclaration. Le film dure 4 minutes. Vous pouvez sauter la première minute car il passe une minute à demander à ses collègues de s’asseoir. C’est ensuite qu’il fait la déclaration.
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Vous trouverez ci-‐dessous la lettre que je viens d’envoyer à Libor Rouček, grâce à une traduction rapide par Florencia Shanahan.
To the attention of the Vice-‐President of the European Parliament, Mr Libor Rouček,
Dear Mr Rouček, Your declaration of 29th September 2011 at the European Parliament as President of this Assembly, concerning the Syrian psychoanalyst Rafah Nached is very important to us. Indeed, Dr. Nached is a symbol of all those arbitrarily detained in Syria who are victims of an unacceptable violence by the government. The appeal of the High Representative Mrs Catherine Ashton as well as your statement to the European Parliament with regards to the release of Rafah Nached are essential.
As a European Association of psychoanalysis which counts among its members more than 2000 practitioners of psychoanalysis, we are also engaged in fighting for the liberation of our colleague. I am writing to you today to seek additional support in this regard. We are considering the possibility of putting up a large poster as a "cover" with a portrait of Rafah Nached and a call for her release on one of the buildings of the European Parliament. You will find some possible examples shown against. We firmly believe that suchexposure would be an effective way to give wide publicity to the worrying situation of Dr. Nached and of other Syrian citizens. We would like to haveyour support to achieve this. What is at stake is not to abandon these people in distress and not to let them disappear into oblivion.
If the display of such a poster on one of the Parliament buildings were possible, our association will be responsible, if necessary, for funding it and for its technical implementation. Yours sincerely, Gil Caroz
President of the EuroFederation of Psychoanalysis.
JEAN-‐PIERRE DENIS. Un coup de pouce. Dans cette rentrée lacanienne que l’on pensait d’abord scandée par la sortie du Séminaire …ou pire, du volume Je parle aux murs de Jacques Lacan, accompagnés de cette Vie de Lacan de Jacques-‐Alain Miller, celui-‐ci, justement, s’est résolu à sortir de sa réserve et à répondre aux mauvais coups de ceux qui veulent encore et encore effacer son nom, alors même que c’est à la demande de Lacan, mais faut-‐il encore le rappeler, que J.-‐A. Miller a établi le texte des Séminaires.
Face à ce mauvais scénario, une phrase du Séminaire Le Sinthome m’est revenue et de nouveau m’accompagne :
« On crée une langue, énonçait Lacan, pour autant qu’à tout instant on lui donne un sens, on lui donne un petit coup de pouce, sans quoi la langue ne serait pas vivante. Elle est vivante pour autant qu’à chaque instant on la crée. »
Cette proposition est heureuse, elle nous redonne de l’air et contre ceux qui voudraient passer Miller à la trappe pour mieux faire entrer Lacan dans son mausolée… Car s’il y en a bien un qui ait pris le temps de se rompre à la langue de Lacan jusqu’à en faire surgir non seulement sa logique, mais ses renouvellements, ses renversements et l’éclair du réel qui en ressort, c’est bien Jacques-‐Alain Miller ; quoi qu’ils en veuillent ! Et lorsqu’il associe maintenant le sort de la malheureuse Rafah Nached, arrêtée arbitrairement en Syrie, à la reconquête du Champ freudien, reconnaissons qu’il s’agit là aussi d’un coup de pouce à la langue des psychanalystes.
Et bon vent aux 91 phrases qui nous attendent à Paris aux prochaines Journées de l’ECF.
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